Focus sur… la prise de décision
Focus thématiques - le 10/03/2021 - par Dr Caroline Airiau, Anne Laure Caro Lafontan et Dr Véronique Delmas

Pour cette 2nd édition, le Groupe de la Veille Scientifique a choisi de faire un focus sur la prise de décision.

La prise de décision est un paramètre fondamental de gestion de risque en santé au même titre que dans l’aéronautique.

La réflexion doit être continue pour maintenir la situation en cours ou la modifier.

Quand la décision doit se prendre dans l’urgence, il faut s’y être préparé, avoir un plan B et donc retenir une méthode pour gérer l’impromptu…L’expérience de l’aviation dans la réponse à ces situations a permis d’étudier la prise de décision et ainsi apporter des aides cognitives.

Pour le formateur en simulation, laprise de décision représente une compétence non technique (CNT) majeure qu’il manie couramment dans son exercice et qu’il est indispensable de bien connaître :

  • D’une part, la prise de décision peut être un objectif pédagogique à débriefer et la connaissance de cette CNT est donc essentielle.
  • D’autre part, cette compétence est souvent utilisée par le formateur lui-même (et souvent dans l’urgence) que ce soit lors de la gestion d’un scénario ou durant un débriefing. 

Les différents modèles de décision

La prise de décision correspond au fait d’effectuer un choix entre plusieurs modalités d’actions possibles lors de la confrontation à un problème.

Le but est de le résoudre en traduisant le choix fait en un comportement (en une séquence d’action).

Elle implique un processus cognitif faisant appel à notre rationalité et un certain nombre d’opérations distinctes :

  • la définition de l’objet (ce sur quoi porte la réflexion et portera la décision),
  • la recherche, l’analyse et l’organisation des informations utiles,
  • l’élaboration et l’évaluation d’hypothèses de décisions en prenant en particulier appui sur des connaissances et/ou des expériences antérieures,
  • enfin le choix d’une hypothèse de décision et sa mise en œuvre.

Plusieurs modèles de prise de décision sont décrits :

  • Le modèle CDM[1] (Classical Decison Making) repose sur une hypothèse où le cerveau humain a un fonctionnement purement logique et rationnel pour prendre une décision.
  • Les modèles RPD[2] (Recognition-Primed-Decision) et SRK[3] (Skills, Rules and Knowledeges) reposent, quant à eux, sur une hypothèse où notre rationalité est limitée dans la prise de décision qui est plutôt influencée par des éléments comme notre intuition ou notre expérience.

Système 1/ Système 2

La psychologie cognitive développée par Kahneman et Tversky[4] montre que l’approche rationnelle de la prise de décision est insuffisante pour expliquer nos prises de décision.

Kahneman et Tversky proposent le modèle du Système 1 et du Système 2 pour expliquer les différents types de raisonnements dans leur ouvrage devenu depuis une référence.

  • Le Système 1 appelé aussi, « mode automatique », est un mode de raisonnement rapide, inconscient, routinier et robuste.
  • Le Système 2 appelé aussi, « mode analytique », est un mode de raisonnement lent, conscient, adaptatif et consommateur d’énergie.

Pour comprendre aisément faites ces 2 exercices :

  1. lisez la phrase suivante : « Il fiat baeu ajuord’uhi, je vias puovior srotir me poremner »
  2. calculez  52*17

Le Système 1 vous aura aider à lire l’énoncé sans effort ni difficulté ; le Système 2 vous aura permis si vous avez fait l’effort de résoudre le calcul.

Vous pouvez consulter la vidéo des enfants du facteurs qui présente cet ouvrage.

Biais cognitifs/ émotionnels

Enfin, en situation d’incertitude et d’urgence, nous sommes plus guidés par l’intuition et l’émotion que par la raison.

En effet en cas de situation inattendue, le stress créé est de nature à déclencher des mécanismes cognitifs qui peuvent altérer le processus de décision et conduire à l’accident (par exemple : formuler une hypothèse et chercher à la confirmer à tout prix, adopter la première solution qui vient à l’esprit, surestimer la probabilité́ d’une issue favorable, résister au changement même après l’apparition de nouvelles données, prendre une décision seul sans consulter l’équipe, etc.).

Les mécanismes cognitifs mis en jeu ici sont des biais cognitifs (et émotionnels); c’est-à-dire des réflexes de pensée faussement logiques, inconscients, et systématiques se produisant, lorsqu’on relève une distorsion dans la prise d’information ou son traitement.

Ils sont à l’origine d’une altération du jugement (forme de dysfonctionnement dans le raisonnement).

Ils sont liés à des ressources cognitives limitées (temps, informations, capacités) ou à des facteurs motivationnels, émotionnels ou moraux (excès de confiance, auto-complaisance, croyances…) qui peuvent conduire à des biais d’analyse et de jugement.

Parmi ceux pouvant nous affecter citons par exemple :

  • le biais de confirmation : nous recherchons et privilégions toute information qui confirme notre à priori initial ou hypothèse.
  • le biais d’excès de confiance : tendance à surestimer ses connaissances, ses capacités physiques et intellectuelles, à avoir trop confiance en son jugement
  • le biais d’obéissance à l’autorité qui fait obéir à l’autorité sans exposer son opinion, et empêche ainsi le lever des doutes.
  • le biais d’habitude : les actions sont reproduites par habitude sans la recherche d’autres solutions. 
  • le biais de disponibilité : le raisonnement est influencé par les informations immédiatement disponibles, sans chercher à en acquérir de nouvelles.

Pour aller plus loin sur les biais cognitifs pouvant influencer les formateurs ou les apprenants en simulation, visionner ou revisionner la séquence du webinaire du 04/12/2020.

Outil d’aide à la décision

Pour aider et structurer le processus cognitif y compris en situation d’urgence, complexe et évolutive, une aide à penser est développé par H-J Hörmann[5], en tenant compte des caractéristiques de la prise de décision chez l’être humain.

L’acronyme anglo-saxon FORDEC est un moyen mnémotechnique pour retenir cette méthode de traitement de la situation.

Cet outil développé dans l’aéronautique, est transposables dans les milieux de la santé.

Sa traduction française POUR – DÉCider est ainsi proposée en 2018 par l’HAS[6].

Ces deux versions structurent une matrice de décisions comparant les avantages et inconvénients de chaque solution identifiée et fait appel à l’intelligence collective et au travail en équipe face à des situations complexes et imprévues.

Pour la traduction française développée par l’HAS, cette aide cognitive comporte 3 parties :

  • la partie POuR : concerne le processus cognitif (réflexion) qui doit être mené.
  • le trait d’union – reliant POuR et DÉCi- der représente le temps indispensable d’échange en équipe.
  • la partie DÉCider : concerne le processus de décision et de mise en œuvre de la solution choisie.

Leur utilisation permet, une fois le Système 1 activé pour répondre aux actions vitales, de solliciter le Système 2 tout en limitant les biais décisionnels afin de guider l’analyse de la situation et la prise de décision.

Mais pour faciliter leur utilisation, il est nécessaire de sensibiliser les soignants aux mécanismes de la prise de décision et de les former à l’utilisation de tels outils pour sécuriser nos décisions auprès des patients. La formation par simulation est un excellent outil pour cela.

Le groupe de veille scientifique vous propose une illustration de ces 2 outils que vous pouvez utiliser en support lors de vos formations. Pour cela, il suffit de cliquer sur les liens suivant : FORDEC et POUR -DECider

[1] LI, Bin. The classical model of decision making has been accepted as not providing an accurate account of how people typically make decisions. International Journal of Business and management. 2008; 3 (6) ;151-154.

[2] Gary A. Klein, A Recognition-Primed Decision (RPD) Model of Rapid Decision Making, Decision Making in Action, pp. 138-147, 1993.

[3] Rasmussen, J. Skills, Rules and knowledge : signals, signs and symbols, and other distinctions in human performance model.IEEE transactions on system, man and cybernetics 13. 1983 ; 3 : 257-266.

[4] Kahneman, D. Système1/Système2, les 2 vitesses de la pensée. Flammarion ; 2012

[5] Hörmann, H. J. Training of aircrew decision making. In AGARD (Vol. 19, p. 15). 1996, May

[6] HAS – POUR – DÉCider (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2018-11/3._outil_pour_decider.pdf)